Vinales, jeudi, 9h du matin, début du trajet
Nous partons de Vinales pour rejoindre Playa Larga, située sans doute à environ 250 km de là. Gorgés de la confiance issue de notre expérience de trajet populaire précédente, nous partons vers la route, laissant Manzana et ses conseils de prendre le bus direct Vinales-Trinidad. Mais nous faisons fi de ses précautions et de la somme extravagante qu’il faudrait payer et tendons fièrement le pouce, que dis-je, relevons la tête, bombons le torse et levons l’index négligemment à chaque passage de voiture. Ben oui, c’est qu’on a bien compris qu’il fallait se fondre dans la masse pour espérer être pris en stop sans qu’on nous demande des prix de tarés… En effet, à La Havane, on nous avait tout de même “proposé” de nous faire faire 5 km en voiture particulière pour 20$!!! Alors objectif paraitre Cubain, sous entendu planquer les sacs et faire le coq pour Matthieu, la snob pour moi!
Comme prévu, une voiture, deux voitures, 10 voitures passent en l’espace des 30 premières minutes, sans jamais s’arrêter. Mais c’est pas grave, on a le temps et préférons en perdre mais gagner cette expérience de trajet populaire plutôt que de céder à la pression financière imposée au touriste… Et d’ailleurs il suffisait de le dire pour qu’un camion s’arrête un peu en amont sur la route et prenne tout le monde… sauf nous. Ah. Nous, on a juste le droit d’écoper d’un signe “non” du doigt, le regard sérieux à sévère. Sympa. Mais ils ne savent pas qui on est! Ha! Et même si l’expérience se renouvelle 3 fois d’affilée, multipliant les expériences de flamby, on tient bon, à croire qu’on veut vraiment faire le bernicle avec le bitume… On commence vraiment à avoir les boules et à pester contre ce peuple décidément pas très aidant à l’égard du touriste si cela n’engage pas une certaine somme d’argent…
C’est à ce moment qu’un Cubain nous interpelle en anglais, nous indiquant gentiment qu’il faut nous mettre un peu plus loin pour avoir plus de chance de trouver un camion ou une voiture pour nous conduire à Pinar del Rio, notre première étape dans ce trajet. C’est marrant, se dit-on, c’est toujours dans les moments où on peste sur les gens que quelqu’un vient nous montrer un autre visage… On suit donc le monsieur qui nous conduit face à une école. Là, un mec en habit couleur bronze, cheveux lissés, colorés en blond et lunettes de soleil Sarko genre j’adore le photographe dans La Croisière s’amuse vient nous voir et nous propose d’aller à Pinar del Rio pour 2 CUC (2$)! Mais José! On sait que c’est 1 peso cubain par personne (soit 25 fois moins cher!), alors on interroge : et pourquoi 2 CUC? “Parce que vous êtes des touristes“ a-t-il le culot de répondre! Tu craques ton slip!! Et voila La croisière s’amuse renvoyé dans ses filets. Là, le type soi-disant gentil gratuitement, qui s’avère donc être un putain de rabatteur, nous indique qu’il a parlé avec le gars et que c’est vrai que c’est pas le bon prix : aller, pour nous, ce sera 1 CUC pour 2... Ah parce qu’en fait, les prix pour touristes sont négociables? Elle est bien bonne celle-là… Sur ces entrefaites un taxi collectif s’arrête mais déjà La croisière s’amuse s’interpose et indique au chauffeur le prix à demander. Et là, il faut préciser que La croisière s’amuse n’est autre qu’un pion de l’école si l’on en juge le tissu identique de la tenue des écoliers qui rentrent chez eux! Trop c’est trop, on prend nos cliques et la claque qu’on lui aurait bien mise et on retourne là où on était faire du stop.
On vous avoue qu’à ce moment, on est un peu outrés et que c’est avec un moins bon œil qu’on regarde les camions s’arrêter, nous faire “non” de la main et laisser monter la moitié de la population de la ville dans leur benne… Alors tant pis, on va pas non plus passer la journée là, on paiera 1 CUC par personne avec une voiture particulière plutôt que de retourner donner raison à La croisière s‘amuse, afin de rejoindre Pinar del Rio pas trop tard non plus.
Arrivés là-bas, on mange un bout (c’est qu’avec tout ça, c’est-à-dire les 25km qui séparent Vinales de Pinar del Rio…, il est déjà midi)… Nous sommes abordés par une rabatteuse qui nous donne encore cette sensation d’agacement parce que franchement, c’est pas qu’ils soient super nombreux les rabatteurs, c’est qu’ils sont super collants, régulièrement en travers de notre chemin et menteurs à nous donner de fausses informations tout le temps et ça, c’est franchement énervant. Une fois le ventre rempli, on décide donc de tenter le bus local, voyant bien que de toute façon, on ne va pas s’en sortir en stop… Ah oui mais c’est que le bus Viazul (la compagnie pour touristes auquel les Cubains n’ont pas accès) ne propose des trajets que le matin, et que le bus Astro (compagnie pour les Cubains autorisée à un nombre limité de touristes : 2 par bus!) nous est interdit. Pourquoi? Parce que vous êtes des touristes. Franchement, les mesures contre les touristes routards ici sont pires que celles prises à l’égard de la grippe porcine en Amérique du Sud, c’est infernal… Ben tant pis qu’on se dit, on va se rabattre sur les voitures privées. Nous retournons donc dehors et commençons à questionner sur les prix pour aller à La Havane, parce qu’on a bien compris qu’aller directement à Playa Larga était une hérésie (et dire que je peste contre le centralisme Français qui fait durer 8h le trajet en train La Rochelle - Brest… Mais au moins est-il possible me dis-je aujourd’hui!). Combien José?? 60$ par personne?! Trop c’est trop, on commence à se moquer d’eux autant qu’eux. A défaut d’être efficace, au moins, ça nous défoulera. “Non, pas 60$, 120!” Ben oui qu’il nous fait de la tête le bougre! Non mais ça va pas ou quoi?!
Puisque c’est comme ça, on se dit qu’on va refaire comme à l’aller et qu’on va parier sur le stop sur l’autoroute. 10 minutes de marche plus tard on arrive donc à l’orée de l’autoroute, là où plusieurs Cubains attendent à l’ombre d’un flamboyant en fleurs. Que c’est beau. Nan j’déconne, quand t’as l’impression de te faire grave enfiler, y’a rien qui parait vraiment beau! Tiens! Prends-toi ça dans les dents Cuba! (ça se sent qu’on a les boules, là?)
Et on attend. On tend la main fièrement, la tête haute, le torse bombé tousala, et v’là ti pas qu’il suffit qu’on fasse ça pour que Mme Grosses Miches (GM pour les intimes) se mette à faire pareil. Ben ouais, c’est pas la première fois et ce n’est pas sans rappeler ce truc du touriste modèle qui, du moment que tu as élu un endroit désert pour t’asseoir, choisi automatiquement le même, à croire que soit il pense que puisque tu l’as choisi, c’est que c’est le meilleur (donc il s’y met aussi), soit que c’est toujours rassurant d’être près d’un compatriote, hein (donc il s’y met aussi)! Bref…
Et on attend.
Et on attend.
Bon, maintenant ça fait 1 h 1/2 qu’on est là, que la population qui attend s’est renouvelée au moins 3 fois entre les gens qui sont montés dans les cabines des camions (souvent des femmes d’ailleurs), les gens qui ont été pris par des véhicules pour nous interdits et les gens qui sont partis, alors que fait-on?! On se donne encore 1/2 heure et après on s’arrache… Ce qu’on fait donc 1/2 heure plus tard, juste après l’intervention de Roberto, imbibé de tout le rhum qu’il a ingurgité depuis tout le temps qu’il attend : “wheeeere do you come from? Ah!… Francesa… Je ne parrrle pas fffffrancais” A la fois Roberto, ça fait 2 fois que je te dis, en espagnol, que je parle espagnol, mais c’est pas grave, au moins quelqu’un aura fini par nous parler. Car ici, c’est un peu à croire que sans les machos men qui peuvent aller jusqu’à me réciter un poème ou me proposer, tout en souriant à Matthieu, si je ne veux pas un “novio cubano” (ben tiens! Un fiancé cubain!), ou les rabatteurs qui ne nous parlent que pour nous soutirer de l’argent à un moment ou un autre, personne ne daigne vouloir avoir l’embryon de l’idée de nous adresser la parole. Aurions-nous l’air de petits cochons malades??
Aller, les sacs sur le dos, on retourne vers la gare routière pour voir s’il n’y a pas quand même moyen de monter dans un bus ou de trouver une voiture particulière pour nous emmener à La Havane…
Là-bas, même topo : le bus Astro de 17h nous est interdit et les prix des taxis collectifs sont prohibitifs. On rencontre à cette occasion 3 voyageurs, 2 Péruviens et un Cubain qui sont dans la même situation que nous, refusant de payer 50 fois le prix d’un transport et préférant attendre que les prix soient plus raisonnables… On attend un peu assis au su de tous les conducteurs de voiture particulière ou de taxi, genre la technique improbable du pêcheur, mais il faut se rendre à l’évidence : tant pis, on va donc attendre le passage du bus Astro sur le bord de la route car si l’organisme touristique nous en refuse l’accès, l’avidité potentielle du chauffeur peut-être pas… Demi-tour à nouveau pour retourner sur la route, à la sortie de la gare, pour attendre le passage du bus. En chemin, un Cubain nous interpelle, nous proposant sa chambre pas-chère-climatisée-y’a-un-bus-demain-sert-toi-dans-l’frigo-j’ai-un-ami-qui-peut-t’aider… Oui.. On te connait Mr José les Musclés… On trace la route, on nous l’a déjà fait trop de fois aujourd’hui et là, on n’est plus d’humeur. Mais à 17h, le bus surblindé ne s’arrête pas, et pour cause… Il y a presque autant de personnes debout dans l’allée que de personnes assises… C’est vraiment malheureux.
17h30. On rejoint donc, bredouilles, les 3 voyageurs qui ont un bilan aussi misérable que nous. Il est 18h, de toute façon, c’est officiel, on n’arrivera pas aujourd’hui à Playa Larga (ce sens de la déduction… De vrais Sherlock Holmes…). Alors nous voila partis chez José les Musclés, “el Moro” de son petit nom, qui s’avère avec sa femme, un couple adorable proposant une chambre impeccable à bon prix. Leur sourire [et la vision du lit…] nous séduit : banco pour cette nuit. Au final d’ailleurs, on a même mangé chez eux une très bonne nourriture et avons beaucoup apprécié leur aimable compagnie, même si, ils restent Cubains tout de même, ils ont vaguement essayé de nous endormir les fruits de la fin de repas mais que voulez-vous, c’est culturel apparemment…
Sur leurs conseils, on se lève donc à 6h du mat ce deuxième matin de voyage pour essayer de chopper le “wa-wa”, comprenez le bus-camion-truc dans lequel on entasse les gens. Accompagnés par Moro, nous nous asseyons donc parmi les travailleurs en partance pour La Havane et… attendons. Une fois n’est pas coutume, il suffit qu’on commence à tendre le pouce pour que GM74 (le nombre de grosses miches à l’air au km2 est en effet ici impressionnant…) se mette à faire de même… Mais de toute façon, ce matin, personne n’a de succès auprès des voitures, grosses miches ou pas, alors, préférant ne pas attendre autant que la veille, nous décidons, sur mimétisme des nombreuses personnes déjà parties et des échos récoltés (“pas de wa-wa aujourd’hui” dit l’un à l’autre), de changer de cap, direction la gare routière. Là, on cherche un taxi… et retombons sur un des voyageurs d’hier! Notre bon plan est trouvé et c’est pour un prix devenu raisonnable que nous faisons route sur La Havane. Ouf!
Sur la route, nous sommes impressionnés par le nombre de personnes qui attendent, profitant de l’ombre d’un pont (50 personnes environ par pont…) ou carrément le long de la route avec ou sans parapluie pour lutter contre le soleil, tendant le bras, parfois avec un billet de pesos cubains. C’est tout simplement attristant. Peut-être qu’aujourd’hui il n’y a pas de wa-wa. Peut-être (sans doute même) que les transports pour les Cubains ne fournissent jamais d’horaires de passage, obligeant la population à attendre aux arrêts pendant une durée parfois interminable le passage dudit transport. Mais ce qui est sûr, au vu de l’entassement des gens dans les camions-benne (franchement, ça fait vraiment camion à bestiaux…) ou dans les bus, et au vu du nombre de gens à attendre perpétuellement sur le bord de la route,
c’est que Cuba à un gros problème de transport, caractérisé au moins par le manque cruel de bus et de wa-wa. Nous plaignons ces gens qui, s’ils ont l’incroyable chance d’avoir tous accès à une santé totalement gratuite (se payant le luxe d‘aller au bout de leurs idées puisque Cuba forme tous les ans des milliers de médecins de pays pauvres et en envoie 30 000 chaque année dans les pays sous-développés au nom de la solidarité internationale… Chapeau), à l’éducation et à l’alphabétisation (c’est quand même ici qu’il y a le taux d’analphabétisme le plus bas au monde…), il n’en reste pas moins qu’ils ont un service de transport publique rendant laborieux le moindre déplacement…
Pour notre part, nous faisons route dans notre bagnole clinquante… Il faut dire ici que les voitures à Cuba, c’est une institution… Vieilles bagnoles américaines des années 50-60 de l’époque de la richesse pré-révolution de Cuba, vieilles Lada Russes de l’époque des accords du bloc soviétique, toutes ces épaves ont traversé les âges du fait du blocus, faisant des Cubains de véritables génies de la mécanique. Fidel les a même déclarées patrimoine national interdisant leur exportation! Résultat?
Des bagnoles à la carrosserie lustrée avec amour et aux banquettes arrière soignées, une ambiance de vieux film américain, la classe internationale d’être à l’intérieur, et une mécanique… presque impeccable… De toute façon, à mi-chemin sur l’autoroute, on avait tous un peu envie de nous arrêter, non?!
Nous finissons par arriver à La Havane vers 11h, tout contents d’avoir toute la journée devant nous pour trouver une correspondance. Enfin c’est ce qu’on croyait! Les bus? Que celui pour touristes évidemment, et c’est que le matin… Les voitures particulières? Combien José? 100$? Et ta sœur? Sauf qu’on a beau penser à toutes les possibilités, il faut bien se rendre à l’évidence : on l’a … au fond à gauche… Tels des poissons dans l’eau… de la marmite, on fait quelques soubresauts d’essais dans la gare avant de nous laisser déporter sur le bord de la route pour rejoindre une guest à proximité de la gare. Oui, c’est que les guests avoisinantes sont à presque 3 fois le prix habituel donc il nous faut prendre un taxi pour trouver un prix plus raisonnable. Et qui dit prendre un taxi dit… attendre sur le bord de la route qu’il y en ait un qui daigne s’arrêter. Et hop! Rebelote… Franchement, c’est pas comme si on était partis hier matin pour faire 145 bornes et qu’on n’avait pas choisi de notre plein gré de dormir à La Havane. (…) Ah si! Un peu à bout, je le reconnais, je retourne voir les chauffeurs de voitures particulières qui m’avaient annoncé les 100$ de tout à l’heure et les écoute prononcer avec attention les paroles énervantes : “5 CUC”. Mais merde. Je retourne vers Matthieu, toujours broucouille sur le bord du trottoir, et puis je fais demi-tour. Ce sera 4 CUC mon pote. Ok ok. “et pourquoi pas 5?!” qu’il tente, “mon pote”, sur un air d’on sait jamais, sur un malentendu. Qu’est-ce qu’il a pas pris… Entre les “De tous les pays qu’on a visités, les Cubains sont les gens les plus capitalistes qu’on ait rencontrés parce que le capitalisme, c’est chercher à avoir toujours plus d’argent et que c’est ce que font tous les Cubains avec les touristes” et les “Depuis 10 jours qu’on est là, on n’a rencontré que 2 Cubains vraiment aimables et désintéressés”, ils ont vraiment pris cher, au point de nous rappeler notre départ excédés de la Syrie…
Aller, c’est pas grave, après un jour et une nuit perdus à La Havane, nous partons le 3eme jour de transport avec un bus Viazul payé 13 CUC par personne, clim à bloc et entourés de touristes, direction Playa Larga. Que voulez-vous, c’est malheureux mais Cuba n’est pas un pays de routards et, si nous trouvons que le tourisme de masse à grand renfort de packages formule tout compris est une forme de gâchis, le touriste à la bouée canard autour du cou ne perd pas grand-chose ici puisque les transports publics, en plus d’être inaccessibles, ne donnent accès à aucune communication intéressante avec la population locale. Quant aux tenanciers des casas particulares, hôtels et restaurants, leur gentillesse n’est souvent dictée que par leur attrait du gain, ce que nous appellerons, en d’autres termes, des relations intéressées. Seules quelques exceptions viennent confirmer la règle. Alors à quoi bon?
Playa Larga, samedi, midi, fin du trajet…