dimanche 16 novembre 2008

S 21

S21, et c’est parti pour l’horreur…
S21, alias Tuol Sleng, c’est le musée du génocide Khmers Rouges par lequel un peuple a tenté d’exterminer les siens.
Comment “raconter” ça. Cette question m’a longtemps suivie, moi qui suis si sensible à la violence et à l’injustice et qui ai eu tant de mal à absorber cette visite. J’ai failli pleurer en lisant les commentaires du lonely planet, je savais que ça allait être dur.
2h30 de visite nous ont fatigués physiquement et moralement au point de ne pas finir la visite pour ma part, préférant trainer des pieds jusqu’à un banc dehors, y rester l’air hagard, à tenter de faire le point sur ce que j’avais vu.

S21.
S21 ça ne se raconte pas car quels mots pourraient contenir l’histoire et l’abomination que ce lieu recouvre?
S21, c’est ça






Voila.
S21, un monde d’horreur où l’humain a perdu son humanité, tant pour les bourreaux quand on voit ou imagine les sévices qu’ils faisaient endurer à leur victime, que pour les victimes qui étaient reléguées au rang d’animaux.

Ancien collège aux 3 bâtiments de classes, S21 est devenu un no man’s land, un passage entre la vie et une mort obligée (7 survivants sur tous les pauvres gens qui sont “passés” par là).
Je garde le souvenir des visages photographiés et de la réalité que recouvrent ces portraits. L’un d’eux n’avait même plus de profil tellement son visage semblait avoir été écrasé. Certains regards, certains visages sont là, dans ma tête. Ce sont les fantômes de Tuol Sleng. Tous sauf un regardent l’objectif, ce qui me semble totalement fou. Et les enfants, des photos d’enfants qu’on a conduits ici…
Les larmes d’émotion du musée se transforment en colère d’incompréhension. On emmenait les gens ici pour obtenir d’eux, après torture, qu’ils “avouent” une raison de les tuer (car la machine à morts ne tuait jamais arbitrairement…). Mais à 3, 4, 5 ans, quel crime peut-on avoir commis?? Pol Pot, dont la paranoïa était à l’origine de toute cette folie, a même tué tous ses rangs par deux fois disant qu’il préférait tuer 10 innocents plutôt que de prendre le risque de laisser courir un coupable. Mais les enfants??

Lieux de torture laissés intacts, photos de cadavres découverts sur place, là, en noir et blanc, en l’état, traces noires (de sang?) sur le carrelage, visages, listes de charniers, tableaux décrivant les scènes de torture. Sous les Khmers Rouges l’humanité était bannie.
Pas d’humanité.
Un poète énumère la liste des interdictions. Se marier? Pas par amour mais pour donner de la main d’œuvre à mettre au service de l’idéologie. Pas de chant, pas de plaisir, pas d’amour, pas de rire. Pas de religion, pas d’éducation, pas de monnaie, pas de commerce. Pas de déplacement personnel, pas de communication, pas de style. Pas de propriété privée, pas de vie privée.

Et les récits des anciens tortionnaires, retournés comme si de rien n’était à leur vie quotidienne, insérés dans la société comme on dit. Ils sont là, partout, c’est connu, reconnu. Leurs histoires sont exposées ici, les faits commis connus et admis par tous mais aujourd’hui?? On sortira du musée en se demandant qui sont les plus de 40 ans dans ce pays?…
S21 c’est aussi comment faire d’un lieu de torture un musée en l’espace de 6 mois seulement… Pas de recul, pas de réflexion, on tourne la page et on passe à autre chose.
On quitte ce musée dépités et plongés dans un abîme d’incompréhension. On ne comprend pas que la justice ne soit pas rendue, que les Cambodgiens visitent ce musée, connaissent tout ça et acceptent que les anciens bourreaux vivent paisiblement leur vie, et quelle vie…
Des images reviennent, hantent. Des enfants lancés en l’air pour être tirés au fusil… Mais ça va pas la tête?… Ces vieilles femmes qui pointent du doigt certains portraits, regroupant les familles décimées et cherchant sans doute des visages connus…
“Je ne comprends pas”. Cette phrase de la petite vieille entendue dans le documentaire du musée obnubile nos cerveaux. On est rincés.
Plus exactement notre cerveau droit oscille entre compassion pour ce peuple qui ne peut pas réagir : trop frais, trop près, trop peur et aucun soutien international (au contraire?…) ; et rage pour ce que cette inertie représente, pour ce peuple qui ne se bat pas (“qui ne dit mot consent”, c’est bien ça?…). Des questions émergent des ténèbres de mon émotivité : jusqu’où faut-il oublier pour vivre? Peut-on accepter l’inacceptable? Que veut dire “ vivre avec”? Et maintenant : peut-on faire le deuil d’une plaie encore ouverte? Bien sûr que non. Sauf que le temps passe et que cette inertie qui nous pose tant question va vite coûter cher… Dans une cinquantaine d’années au plus tard, tous les bourreaux seront morts et la page se refermera sur elle-même. Comment se reconstruire comme ça?

S21 c’est l’histoire du déchirement d’un pays sous l’impulsion délétère d’un fou et de sa clique.
S21 c’est être face à une triste facette de la réalité : l’être humain est mauvais par essence.. Car sinon, comment expliquer l‘endoctrinement de ces centaines de gens et la gratuité de la violence dont la plupart ont su faire preuve? Il y en a juste certains qui se dominent plus que d’autres… (dont vous faites tous partie bien sûr!)

Nous sommes au début de notre périple au Cambodge… Nous déconseillons vivement aux voyageurs de commencer leur séjour par cette visite qui, si l’on prend le temps de s’y intéresser, entache pendant un certain temps la vision de la réalité de ce pays et fait regarder le peuple cambodgien au travers du prisme de l’abomination Khmer Rouge.

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