lundi 24 novembre 2008

Voyage Kampot - Phom Penh


Pour notre retour sur Phnom Penh, nous choisissons de la tenter en stop afin de rencontrer peut-être plus facilement la population. Ca ne traîne pas : en 5 minutes on a notre voiture, et laquelle! Une nonne conduite par son neveu et accompagnée de 2 militaires! Nous sommes donc 4 à l’arrière et la discussion s’engage facilement avec la nonne qui parle Français! Quelle chance! Nous sommes ainsi partis pour 2h30 de conversation d’une richesse insoupçonnée. Cette femme d’un certain âge comme on dit nous a vécu l’enfer des Khmers Rouges, perdant ainsi son mari, officier de Marine donc tué parmi les premiers et ses parents, morts d’épuisement dans les camps à cause des conditions de malnutrition, de fatigue et de mauvaise hygiène… Matthieu et moi sommes pris de bouffées de chaleur et je pleure discrètement pour ne pas froisser la pudeur de cette femme… Quelle malheur… Je me rappelle de la chaleur de sa voix, du sourire présent jusque dans ses cordes vocales et de ses rires de circonstances qui ponctuent son discours quand elle continue à évoquer la vie de restrictions, paysanne pour une citadine qui n‘avait jamais cultivé la terre… “Je devais être la meilleure à planter le riz si je voulais survivre”… Et de cacher qu’elle parlait le Français car bien sûr, parler une langue étrangère, comme porter des lunettes (!), classait les gens dans la catégorie “intellectuels” donc personne à tuer… C’est ça, le régime Khmer Rouge… En effet, tous les habitants des villes ont été systématiquement et à plusieurs reprises déportés vers les campagnes et exterminés par couches de population pour faire des Cambodgiens un peuple rural, dénué de toute hiérarchie sociale (même si la population était du coup divisée en Combattants, Anciens c’est-à-dire les populations “libérées” en premier par le Khmers Rouges en 1970, et les Nouveaux, les Cambodgiens d’après le 17 avril 1975 date de la prise de Phnom Penh)… Il serait difficile de résumer ici toutes les horreurs qui nous sont parvenues à propos de ce régime…
Mais ce n’est pas tout. Car cette femme au caractère bien trempé, nonne dans un centre de méditation depuis 13 ans pour “apaiser l’âme, le cœur et la parole” (après ce qui a été vécu, tu m’étonnes…), continue sur le présent du peuple Cambodgien. “Ici on ferme la bouche”… Corruption, délation, présence des anciens tortionnaires au gouvernement et système de la terreur toujours bien en place, les anciens Khmers Rouges et leurs successeurs savent bien comment faire pour garder la main mise sur la politique… Tu parles, tu dénonces le régime? Ben t’es tué mon pote… Jusqu’à l’assassinat pour avoir eu des idées contraires au parti principal… On se demande si elle risque quelque chose à nous parler comme ça (heureusement elle est la seule à comprendre le Français) et elle nous explique bien : “ moi je peux parler, je suis vieille, je dis la vérité, ils peuvent bien me mettre en prison”… Comme ça c’est fait… Dans ces conditions, comment croire à la liberté de penser? Comment imaginer refermer cette page de l’histoire tellement d’actualité encore… “ Il faudra 10 à 20 ans” nous dit-elle… Ben oui, le temps que les gens meurent… Quel gâchis… On est tristes pour ce peuple dont on comprend à quel point ils sont pieds et mains liés. On éprouve de la compassion pour l’histoire de cette femme qui nous a ouvert les portes de sa voiture mais tellement plus encore… Nous mesurons la chance de notre rencontre et remercions chaleureusement cette femme qui, dans ses sourires, porte toute la fatigue de cette vie de lutte et de malheur…

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