vendredi 22 mai 2009

Cuzco et la vallée sacrée

Nous arrivons à Cuzco après de nombreuses heures de bus (quand je dis nombreuses, c’est 16h plus l’attente de la connexion…), autant dire un peu fatigués et du coup pas très motivés pour aller à la rencontre d’une ville. Pourtant, une fois la guest trouvée, nous découvrons des rues et des places faisant davantage penser à une petite bourgade qu’à une ville. De jolis pavés, des murs Incas défiant toute concurrence espagnole (ouais enfin sauf qu’en fait les murs “incas“ de la ville espagnole, ils viennent très probablement des sites archéologiques alentour, dépouillés pour l’occasion. Alors? toujours aussi classes, les murs de Cuzco?!), bâtiments coloniaux, belles églises
et, en se faufilant, magnifiques demeures populaires avec patio et balcons intérieurs en bois. Quel dommage qu’on ait fait les feignants : aucune photo pour vous montrer tout ça! Aller, on se motive, direction les agences pour réfléchir à la possibilité de faire un trek entre le Choquequirao (site semblable au Machu Picchu découvert plus récemment) et le Machu Picchu. Première claque : c’est 7 jours minimum quand on en a que 5, raté pour le trek. Ne nous laissant pas décourager pour autant, nous filons à l’office du tourisme. Deuxième claque : aux alentours de Cuzco, il faut payer TRES cher un ticket touristique global qui ne laisse pas la possibilité de choisir les sites que l’on veut visiter… C’est le ticket cher pour 5 sites ou rien du tout… Bien! On n’a que très peu de temps au Pérou, on accepte les règles du jeu. Surtout, on voit bien qu’encore une fois il est impossible de demander quelque chose qui sortirait un petit peu du moule. C’est marrant d’ailleurs à quel point on observe ça souvent ici. Ils proposent des jus de fruits mangue-orange et fruit de la passion-banane, mais si on demande un mangue-passion, c’est la panique! Il faut pas s’étonner que la xénophobie fasse partie de ce monde quand rien qu’une demande non inscrite sur une carte déclenche la panique, remarque judicieuse de Matthieu…
Bref, nous avons donc accepté les conditions et commençons notre circuit touristique par le musée des Incas. On passe le coté céramique du rez-de-chaussée.. On aurait pu refaire la vidéo d’Alep tellement dès la première salle on a dû partir s’aérer dehors pour se remotiver! Mais c’est chose faite au deuxième étage. La collection enseigne une partie de la vie des Incas et, si nous avons encore l’impression de manquer de culture sur le sujet, nous en savons maintenant un peu plus sur ce peuple colonisateur colonisé.
Mais ce qui nous attire le plus, c’est la culture in vivo alors direction notre premier site Inca : Saqsayhuaman (je sais, c’est imprononçable. Alors comment s‘en sortir? Prononcez “Sexy Woman“, c‘est marrant et surtout efficace!). Situé sur la montagne qui domine la ville (justement pour son positionnement stratégique),
Saqsayhuayman était un temple du soleil avant d’être considéré comme une forteresse du fait de la lutte menée contre les envahisseurs Espagnols. Ce qui est de suite saisissant, au-delà de la dimension magistrale du site (le deuxième plus grand après le Machu Picchu), c’est l’art mis en œuvre pour sa construction.
Les blocs de pierre, allant jusqu’à plus de 100 tonnes, étaient taillés les uns par rapport aux autres en se basant sur la moulure en argile des pierres avoisinantes pour la découpe du bloc dans la carrière, puis le bloc était alors taillé sur place en fonction des détails de chaque pierre. D’autre part, les blocs, plus gros à la base et diminuant d’étage en étage pour rappeler la perfection existant dans la nature, étaient érigés légèrement penchés pour des mesures antisismique...
Alors là, on dit bravo.
Nous rentrons donc dans le site, armés de notre livre sur la vallée sacrée pour nous servir de guide, et arpentons une colline au hasard pour découvrir plus avant ce site épatant. Ici, un toboggan naturel fait la joie des enfants, mais pas seulement!


Une autre surprise : on ne lasse pas de s’étonner de la “lenteur” de l’archéologie, toujours active sur ce site, pourtant “redécouvert” il y a bien longtemps. L’histoire continue de nous surprendre… Le nom du site désigne, en fonction de la prononciation, soit une signification ésotérique en lien avec le puma, soit (grosso modo) le condor content tant ce lieu a été le théâtre du massacre orchestré de ce qui fut en son temps un des bastions des derniers Incas… Pourtant face à nous s’élève toute la majesté et la beauté de ce site parfait.
Bon OK, le vrai trône est là...

On distingue même, grâce à notre livre, on vous avoue!, là un serpent dans la pierre,
là un oiseau,
là un poisson!
Ils sont forts, ces Incas!
Mais nous décidons bientôt de quitter ce site pour gagner celui de Qenqo, accessible à pied avant la tombée de la nuit. Sauf qu’en chemin, Matthieu déniche une partie de foot à jouer, tout de suite et spontanément invité par les jeunes du coin. C’est parti (c’est le cas de le dire…) pour une demi-heure de sport, au soleil couchant,
et là, je suis bien contente, parce que ce sera la première fois que, les mains sur les genoux et la respiration courte,
mon amoureux ressentira l’effet de l’altitude, effet que je connais TRES bien depuis la Bolivie!
Bref, après quelques pas bien agréables sous les arbres, nous arrivons sur le site de Qenqo. Passée l’impression du simple bloc de pierre (prédominant en accédant au site), nous tentons de mettre à profit les caravanes de touristes qui se succèdent pour que Micheline fasse la photo cheveux recoiffés devant la pierre du crapaud (avec BEAUCOUP d’imagination bien sûr… Les Incas, c’est bien une culture différente et avec elle, toute une vision du monde!!), que Roberto remette ses lunettes qui ne servent plus à rien vue la pénombre pour se faire tirer le portrait sur le trône… Vous l’aurez compris, le seul intérêt des groupes de touristes pour nous, c’est définitivement l’absorption de quelques commentaires ça et là pour en apprendre davantage sur le site. Résultat la pierre s‘anime : là un autel des sacrifices, là une fontaine, là une zone astronomique. Poursuivant notre découverte du site par la lecture des informations données par notre bouquin, on avouera avoir retenu exclusivement que le site était d'un ésotérisme absolu, d'une perfection dédiée à la symbolique absolument... imperméable à nos esprits européens! On n'a rien compris aux couches successives d'explications sur les lignes qui figurent le temps mais rapporté à l'espace intersidéral au point de croire rencontrer bientôt un vaisseau spatial!
Mais le soleil se couche et nous devons redescendre sur Cuzco. Le lendemain, nous pénétrons dans la vallée sacrée… Après avoir bataillé un peu pour rejoindre le bon bus, nous partons pour Pisac, son marché traditionnel et ses ruines Incas. On nous avait dit que ce marché était un lieu d’échange, de troc, du fait de la rencontre entre les producteurs de produits frais des bas et l’artisanat des hauts. Mais à défaut d’intercambio, nous trouvons surtout un marché d’artisanat très touristique, avec interpellations en anglais tous les mètres et prix indiquant clairement qu’ici, ils ne sont pas là pour enfiler des perles. Mais vous connaissez déjà notre grande capacité d’adaptation en matière d’économie régionale et notre bonté n’ayant d’égale que notre souplesse, nous troquons l’option on-laisse-un-sac-à-Cuzco-pour-voyager-léger contre sa concurrente on-se-blinde-d’artisanat-à-ramener-en-France… Quel talent! Ben oui et puis avec tout ça, on a aussi mis l’intercambio au service du temps, troquons par la même occasion le beau temps de la matinée pour le marché couvert contre les premières gouttes de pluie pour monter au site… Nan vraiment, bien joué! Et pourtant nous apprenons que pas moins d’une bonne heure de montée nous attend,
traversant les terrasses agricoles et débouchant sur quelques ruines au rythme de l’orage qui tonne au loin et envoie le mauvais présage du gris sombre de ses nuages. Pisac est décidément un lieu épatant. Ici étaient centralisées les tâches administratives et le grenier de la région, sur les montagnes dominant la vallée et ses cultures en-dessous.
Les ruines, quoique effectivement moyennement bien conservées (il faut quand même l’aide du bouquin et notre imagination pour visualiser ce qu’était le site à l’époque des Incas), mettent en scène toute l’organisation dont savaient faire preuve les Incas. Les terrasses quant à elles étaient issues de l'ingéniosité agraire des Incas, fruits de la recherche technologique avancée et mises en place pour créer des écosystèmes capables de résister au froid, au vent et aux problèmes d'irrigation.
Cette incroyable technologie, associée à une sélection scrupuleuse des semences, a permis aux Incas de développer par exemple pas moins de 17 variétés de maïs dans la zone!
Au bout du chemin, traversant un tunnel et passant une porte Inca, nous arrivons finalement au cœur du site pendant que le chœur de l’orage nous nargue de sa voix puissante. Succession d’habitations,
fontaines au système ingénieux dont l’efficacité à traversé les âges, bains, les constructions défient le temps pour nous donner une vision peut-être plus précise du système Inca.
Seules les perles du tonnerre nous incitent à partir, préférant le taxi (négocié pendant quelques minutes, l’occasion d’une bonne partie de rigolade avec les chauffeurs, pas dupes de leurs propres prix!) à la redescente humide par le même chemin.
En bas, on finit nos emplettes et profitons d’une chance incroyable de trouver un bus pour Ollantaytambo dans les 10 minutes… Quel timing!
Nous rejoignons ce quatrième site Inca à seulement une heure de bus un peu plus loin dans la vallée, arrivant à la tombée de la nuit, juste à temps pour dénicher une super adresse, l’hostal El Tambo - Matacuy, situé à un cuadra et demi de la place principale et offrant une chambre dans une belle maison, la terrasse en mezzanine donnant sur un petit jardin ravissant et profitant de l’accueil simple et chaleureux de la propriétaire. Nous empruntons les magnifiques rues pavées au son joyeux des rigoles d’eau qui courent le long des murs pour manger un poulet frit et rentrons nous coucher. Quelle n’est pas notre surprise de découvrir le lendemain matin le vue sur la montagne et le site Inca juste là, depuis la balustrade. Le ciel bleu et le soleil nous offrent les promesses d’une belle journée et c’est reposés et tout contents d’être là que nous montons vers le site archéologique. Nous passons donc quelques magnifiques maisons ayant pignon sur pavés dans ce village entièrement rénové, semblant aujourd’hui vivre au rythme d’un autre temps,
puis nous grimpons dans la montagne pour atteindre bien vite les premières ruines. De là, nous avons vue sur la ville
et, profitant de notre guide de papier glacé, nous nous adonnons à une petite lecture culturelle.

Ollantaytambo était connu pour être le berceau du maïs, plante qui a carrément donné sa forme au village (en forme d’épi de maïs donc). C’est en effet ici que les premiers essais de culture transgénique ont été réalisés! Oui, c’est qu’ici les Incas ont développé de nombreuses variétés de maïs, mettant à profit leurs connaissances de la nature pour modifier les conditions d‘ensoleillement, d‘irrigation etc. A moins que le village n’ait la forme d’un arbre coupé? Ben oui, c’est que ce qu’il y avait de bien avec les Incas, c’était leur imagination et leur capacité d’une part à chercher à organiser leur vie dans des représentations de la nature, d’autre part à faire coïncider leur environnement avec ces représentations, profitant des détails de paysage pour, agrémenté de deux trois constructions, leur faire épouser totalement la forme souhaitée. Alors? Arbre coupé ou épi de maïs?


Mais trêve de culture, deux Françaises dont l’une rencontrée en Bolivie, ont rejoint l’endroit où l’on se trouve, l’occasion de papoter un peu. On apprécie beaucoup ces moments d’échanges impromptus et spontanés où l’Etranger est perçu plus comme une Rencontre possible que comme un quelconque opportunateur (oui je sais, ça se dit pas). Peu importe l’issue de ces moments puisque sur toutes les personnes rencontrées dans notre voyage, peut-être que nous ne garderons contact qu’avec le dixième mais et alors? Le voyage, comme selon nous la vie, c’est aussi prendre le temps de partager ces moments sans calcul de compatibilité ou de viabilité de la relation.
Aller, j’arrête les épanchements affectifs, merci juste à ces deux joyeuses voyageuses dont on ne connait pas le nom mais dont on se rappelle des sourires, pour ce moment passé ensemble. Ouais enfin tout ça c’est bien joli, mais c’est qu’il se fait tard dans la matinée et, comme on voulait réussir à rejoindre les pieds du Machu Picchu dans la journée, nous préférons gagner l’autre coté du village, le site principal,

délaissant le monastère à quelques encablures de là.
De toute façon c’est d’en face que nous pouvons le mieux admirer le visage du site sur lequel on était… En effet, les Incas, toujours super forts pour trouver des formes improbables aux montagnes, et cherchant un protecteur pour leur nouveau village, on profité d’un promontoire dans la roche qu’ils ont taillé jusqu’à lui donner la forme du profil d’une divinité Inca, Wiracochan ou Tunupa, maître de la connaissance du temps.

Celui-ci est représenté portant sur son dos tel le Père Noël une hotte, le grenier de la région. C’est d’ailleurs là que les 2 hangars de nourriture ont été construits. Le monastère est à ses pieds, parachevant avec perfection la concordance complète entre éléments naturels et constructions humaines… C’est donc en face que se trouvent les sites les plus importants d’Ollantaytambo. Terrasses agricoles, constructions,

pierres colossales

laissant juste apparaitre de petits promontoires lisses destinés à des usages astronomiques.

Car ici, nous sommes dans LE lieu Inca de l’astrologie. Nous avouons avec déception avoir raté l’instrument le plus sophistiqué… Il s’agit de l'observatoire astronomique d'Inticcahuarina, une roche taillée de laquelle saillent quelques hauts-reliefs de quelques centimètres, dont l’ombre, lors du solstice d’été entre très précisément à 12h30 exactement dans les encoches taillées en-dessous. Cette concordance parfaite annonçait donc l’entrée dans l’été, événement agraire de la plus haute importance. D’ailleurs, les effets d’ombre et de soleil n’étaient jamais laissés au hasard ici : le visage de Tunupa dans la roche parait avoir les yeux fermés le matin, ouverts l’après-midi ; le soleil éclaire, au moment du solstice d’été, exactement les carrés de cultures (le Pacaritanpu, succession de 9 terrasses de culture) représentant l’origine non seulement des Incas et de la vie mais aussi celle du maïs, passant d’un lever de soleil à gauche d’une montagne à un lever à droite à partir du solstice… Rajoutez à cela l'image de la constellation du lama qui se “réveille” au moment du solstice et vous comprendrez que les exemples sont tellement nombreux sur ce site d’Ollantaytambo qu’il serait fastidieux de les recenser ici. Mais disons que ce site nous a vraiment donné le sens de l’art Inca, au point qu’on se demande bien pourquoi les Espagnols les ont pris pour des sauvages, eux qui, certes sans instruments sophistiqués, arrivaient au moins au même savoir astronomique que les Conquistadors, eux moins respectueux…
Nous quittons Ollantaytambo le cœur gorgé d’admiration pour ce que cette civilisation à mis en place comme savoir-faire et comme art au service de leurs croyances.

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