mardi 16 juin 2009

Fin d'un voyage, fin d'un reve...

Ah c’est donc ça, le syndrome de la page blanche. Ce truc où on ne sait pas par où commencer…
Notre blog a toujours été une page ouverte sur notre voyage comme sur notre monde. C’est donc naturellement et d’un commun accord que je vais tenter le difficile récit de la fin de notre voyage.
Nous avions une envie, que nous avons transformée en projet : notre tour du monde. Nombreux sont ceux qui nous ont dit que nous avions de la chance. Nombreux sont ceux qui pensent que tout nous réussit. Et nombreuses sont les fois où j’ai souffert de cette croyance, laissée seule car après tout, elle se débrouillera bien, tout lui réussit. Mais ça, c’est une autre histoire. La chance que nous avons eue, nous nous la sommes créée. Et si, oui, nous avons profité d’une certaine chance, c’est parce qu’avant tout, on s’est donné les moyens de la réaliser.
Nous avions également un rêve, que nous avons voulu transformer en réalité, celui de ramener de notre voyage, au-delà des magnifiques souvenirs que nous voulons offrir à notre entourage ou parmi lesquels nous voulons vivre, le projet de toute une vie, un nouveau voyage… un bébé.
En Argentine j’arrêtais la pilule, au Brésil je pleurais de n’être pas enceinte, de peur du spectre de la stérilité. Et en Bolivie, après notre périple en jeep dans la magnifique région d’Uyuni, nous apprenions que le fruit de notre amour et de notre désir était en train de se constituer en moi. Quel délice, quel bonheur dans lequel on s’est immergés, transportés par ce qui devenait notre secret…
Pourtant à Tunupa, notre ascension à 5400m, j’avais eu un saignement. Alors à La Paz, on consulte le gynécologue qui prescrit une semaine de repos, pendant que Matthieu va faire son Rahan dans la montagne.
Les semaines passent et avec elles s’enclenche le décompte, non plus du nombre de mois de voyage écoulé ou du nombre de semaines nous restant à voyager, mais du nombre de semaines de grossesse. Le spectre d’une fausse couche pourtant, agitant une épée de Damoclès à mesure que des traces de sang ponctuent l’avancée dans le calendrier, assombrit la perspective et nous demande de garder toute notre mesure. On ne sait jamais.
Et puis à Vinales, on part faire une balade à vélo que je juge trop longue, bien qu’elle ait été déconseillée par Matthieu au départ. Mais une femme enceinte n’est pas une femme en sucre, non?
Et puis quelques jours plus tard, après la plongée, les traces deviennent sang. On attend, moi les pieds en hauteur sur les barreaux du lit, Matthieu à mon chevet tentant d’exploser le score au solitaire.
On attend et l’attente devient moisissure à mesure que les petits saignements augmentent. Accompagnés par Amelys, ma maman Cubaine, nous partons donc à l’hôpital du coin pour la consultation gynécologique la plus improbable de tout le voyage, à l’heure où j’en ai le plus besoin, et dans LE pays de la santé de tout le continent Américain. Allongée sur une planche de métal dont les claquements gondolés entravent ma communication avec le bourreau qui me sert d’infirmière, avec pour couverture d’hygiène un morceau de carton attrapé négligemment sur l’étagère décrépie d’à coté, la dame en blouse blanche m’enfonce sans chichi l’instrument gynécologique préféré des femmes, sorti, avec les gants (mais c’est pas pour l‘hygiène du matériel, les gants…), de son emballage en carton avant que ces mêmes gants poursuivent l’examen sans plus de précautions. Le verdict est sec et adressé à Amelys : du repos, et une femme enceinte ne voyage pas. Visiblement, y’en a une qui a raté sa vocation de bouchère…
Le diagnostic, dicté par un si sommaire et incompétent examen, ne me rassure pas, et c’est avec résignation que je retrouve ma chambre dont la seule différence avec une cellule est la douce attention de Amelys et de sa mère. Il faut dire que depuis que je suis enceinte, j’ai toujours bénéficié de la bienveillance naturelle et de l’entrain de toute l’Amérique du Sud, à commencer par le cadeau de suerte (bonne chance) de Tania et Stéphane (un magnifique ensemble pour bébé), jusqu’aux tendres félicitations de tout le peuple Latino. C’est aussi grâce à ma grossesse que nous avons eu les meilleurs contacts avec les Cubains, de l’ananas offert à la femme enceinte à Vinales, jusqu’au test pour le sexe du bébé auquel je me suis prêté 2 fois, prétextant toujours n’en avoir jamais entendu parler avant pour jouir encore une fois de ce moment de connivence unique entre les femmes du Monde et moi.
Mais dans notre chambre de Playa Larga, ce n’est pas la connivence qui est au rendez-vous mais l’empathie dans la tristesse et la peur.
Encore du sang, plus de sang. On ne peut pas rester comme ça. Et si le trajet jusqu’à La Havane déclenchait la fausse couche? Qu’il est difficile de savoir que faire dans ces moments.
Nous partons pour La Havane le lendemain matin, refusant “l’offre” de Félix de nous y faire conduire en taxi (pour 50-55 CUC contre 27 CUC réellement payés avec le bus. Félix serait-il comme tous les Cubains à vouloir faire de l’argent jusque dans ces moments-là??).
Demander une voiture particulière jusqu’à l’autoroute.

Attendre sur l’autoroute le passage du bus.

Prendre le bus. Retenir ses larmes pendant le trajet et ses secousses.
A La Havane, on attend le contact médecin de Félix qui ne vient pas. Je me sens faible, j’ai des sensations de règles dans le bas du ventre : stop. On file en taxi à la clinique des touristes.
Un examen gynécologique ; l’utérus est trop petit pour contenir 9 semaines de grossesse. Un test de grossesse positif ouvre les portes de l’écho mais…
Mais l’œuf est trop petit et irrégulier. Avortement spontané. Le monde se coupe en deux et s’effondre.
Une fausse couche pendant le voyage, subir un curetage loin des miens, avoir peur de ne plus pouvoir avoir d’enfant après, voila ce que je redoutais le plus, le numéro 1 de mes angoisses.
Les idées se débattent ; nous partons tant bien que mal de la clinique qui refusait de nous laisser partir et nous demandait de payer une somme impossible (120 euros l’échographie à titre informatif) : sommes-nous les meilleurs clients de la semaine? Les Cubains ne peuvent-ils pas s’empêcher à une occasion aussi grave de chercher le profit? Nous sommes perdus et préférons prendre l’avis de l’assurance pour savoir si un rapatriement est possible.
- C’est une urgence Mademoiselle, vous ne pouvez pas risquer de faire une hémorragie dans l’avion.
Opérée à Cuba. Je suis fatiguée, vidée. Et bien allons-y maintenant s’il faut le faire.
Souvenirs de mes larmes incontrôlables et de mes tremblements d’émotion quand les infirmier et anesthésiste me sanglent et me préparent à l’opération.
- Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.
Mais j’ai perdu nos envies, notre bébé-tour du monde, notre joie et notre malice à imaginer comment nous allions annoncer ma grossesse à notre retour. Quand on trinquera à notre retour, on pourrait dire… Les images tant fantasmées défilent dans la tête, mais le rêve est mort en moi il y a déjà 3 semaines. Endormez-moi, je veux fermer ma conscience sur ces images trop joyeuses auxquelles la Faucheuse ôte tout espoir de réalité.
J’ouvre les yeux sur un corps endolori et fatigué. La pensée me revient et avec elle les larmes. C’est fait. Je ne suis plus enceinte. Nous n’aurons pas de bébé tour du monde pour commencer un nouveau voyage.
Dans 2h un taxi vient nous chercher pour le rapatriement, heureusement possible et orchestré magistralement par Matthieu et l’assurance en France. Finalement, être une série de numéros, ça a du bon des fois.
Dans 5h notre avion décolle. C’est 7 jours avant la date prévue de notre retour. C’est aussi une éternité après la fin de notre voyage.
Le tour du monde, c’est fini.
Un autre voyage commencera plus tard, adieu à l’embryon qui nous a accompagnés ces dernières semaines. Merci mon amour d’autoriser mon chagrin à s’exprimer sans parier sur ma prétendue force et d’être aussi attentif et attentionné.
Aude

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Difficile de trouver le juste commentaire après ce récit poignant qui, et c'est peu dire, m'a énormément touchée...
En tout cas c'est énorme que vous ayez réussi à partager ça aussi avec vos internautes, une belle marque de confiance.
Je vous embrasse
Maëlle

audetmatt Rakikite a dit…

Merci Maelle de ton message. Certaines ont reagi par mail, d'autres par larmes, et il m'est encore aujourd'hui difficile de dire si nous avons bien fait ou non de publier cet "article". Ce qui est sur pour moi aujourd'hui c'est que je me sens en accord de l'avoir fait pour avoir peut-etre mis des mots sur des blessures parfois encore ouvertes de femmes pour qui fausse couche peut signifier tabou et donc culpabilite. Nous vivons toute notre corps a notre maniere, mais la fausse couche est une douleur commune, universelle.
Pour ma part, a 1 mois et demi de cet evenement, je vais bien, sans doute grace a cet article autant qu'a l'amitie de mes proches qui ont du coup pu me soutenir avec force et douceur.
Merci pour ce commentaire, et bien sur, j'invite d'autres a le faire. Il ne s'agit pas de belles lettres ici mais de ressenti... qu'on aurait plaisir a lire...
Aude

Anonyme a dit…

Du 16 juin 2009 au 16 juin 2010, une année.
Un petit fil, une petite note, pour se souvenir.
Bien sincèrement Aude,
Sophie (Maternéo)